Salah Oueslati est l’auteur d’un billet publié sur le site du Huffington Post Maghreb, le 4 décembre 2015.
http://www.huffpostmaghreb.com/salah-oueslati/combattre-le-terrorisme-l_b_8718518.html
COMBATTRE LE TERRORISME: LA NÉCESSITÉ D’UNE STRATÉGIE GLOBALE
Ce qui frappe et inquiète en même temps lorsqu’on écoute le débat sur la lutte contre le terrorisme en France et même en Europe, c’est l’absence flagrante d’une stratégie globale, d’une vision claire et d’une perspective ouvrant la voie à une solution durable à la crise du Proche-Orient dans son ensemble.
Toutes les déclarations se focalisent sur la menace que Daech représente en Iraq et surtout en Syrie ainsi que sur la nécessité d’éradiquer ce groupe terroriste par tous les moyens. Cependant, les attaques de l’hôtel Radisson à Bamako viennent rappeler, s’il en est besoin, que Al Quaida n’est pas mort et que cette organisation peut encore frapper partout et à n’importe quel moment.
Plus grave encore est la tendance du gouvernement français à non seulement oublier que le Front Al Nosra, filiale d’Al Qaida en Syrie, est aussi dangereux que Daech, mais que son Ministre des Affaires Etrangères, Laurent Fabius considère que ce groupe « fait du bon boulot ».
Est-ce que le Front Al Nosra, soutenu par le Qatar et l’Arabie saoudite, est devenu fréquentable aux yeux du gouvernement français rien que parce que ce groupe combat Daech en Syrie? La question mérite d’être posée, dans la mesure où le président français dans ses multiples discours et déclarations, n’a jamais désigné nommément ce groupe comme une menace potentielle. Les positions changeantes du président Hollande, d’une posture intransigeante basée sur le principe de « ni, ni », ni Daech ni Bachar el-Assad, et le revirement après les attentas de Paris montre l’absence d’une stratégie claire sur le dossier syrien. On a l’impression qu’en dehors de l’option militaire et sécuritaire aucune autre stratégie n’est envisagée ni à moyen ni à long terme.
L’intervention militaire est nécessaire pour combattre le terrorisme, mais celle-ci doit être menée au service d’une stratégie politique et non l’inverse. Autrement dit, on ne peut intervenir militairement avant d’avoir envisagé une solution globale et acceptée par tous les Etats de la région et au delà.
Les discours martiaux de François Hollande et Barack Obama sur la volonté de liquider Daech en Syrie et en Irak suite aux attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris, même si cet objectif est atteint, ne fera que déplacer le problème vers d’autres pays, notamment la Libye, un Etat sans véritable gouvernement, ni Armée. L’intensification des bombardements en Syrie, suite à l’intervention Russe, a déjà amené de nombreux cadres et combattants de Daech, à se replier sur le territoire libyen, empruntant des vols réguliers sans être inquiétés par les autorités de pays censés combattre ce groupe!
La ville de Syrte constitue désormais un fief à ces nouveaux venus. Si ces groupes s’emparent de la Libye, le danger sera encore plus grand pour l’Europe. La Tunisie, petit pays, avec une armée mal et sous-équipée, constitue non seulement la principale cible de ce groupe, mais aussi le maillon faible de l’Afrique du nord. Si la Tunisie tombe, l’Algérie et le Maroc ne résisteront pas trop longtemps.
Si l’ensemble de l’Afrique du nord sombre dans le chaos, c’est toute l’Europe qui sera en première ligne. C’est par millions que les réfugiés débarqueront sur les côtes sud du continent et entraineront une déstabilisation dont les conséquences seront incalculables. C’est le modèle démocratique européen qui sera directement menacé. Ce scénario est loin d’être une hypothèse d’école, sauf qu’il ne semble pas faire partie de ceux envisagés ni par les responsables politiques français et européens, ni par les innombrables spécialistes, experts et autres qui sont omniprésents sur les médias.
Un tel scénario montre que c’est l’Europe qui est en première ligne et devrait amener les Européens et surtout la France, à considérer sérieusement leur alignement systématique sur l’approche américaine à ces conflits. Il n’est pas ici question de remettre en cause l’alliance stratégique entre l’Europe et les Etats-Unis, une alliance qui, compte tenue de la faiblesse de l’Europe, est nécessaire et indispensable.
Mais force est de constater que les intérêts européens et étasuniens ne sont toujours pas convergeant quand il s’agit d’apporter des solutions durables aux problèmes du Moyen-Orient. Le « chaos créateur » cher aux néoconservateurs s’est avéré un chaos destructeur qui n’a créé que désordre et dévastation; on l’avait bien vu avec la guerre menée contre l’Iraq en 2003 et on le voit aujourd’hui avec la gestion des conséquences catastrophiques de cette intervention. Les Etats-Unis sont géographiquement loin et peu touchés par le chaos destructeur et n’encourent aucun risque de voir des bateaux transportant des réfugiés syriens s’approchant de leurs côtes.
D’ailleurs, la décision du président Obama d’accorder le droit d’asile à quelques vingt mille réfugiés syriens a soulevé une polémique et une réaction irrationnelle de la part des candidats aux élections primaires du parti républicain et même de certains élus démocrates! C’est l’Europe et seule l’Europe qui est en première ligne.
L’Union européenne, sous le leadership des pays du sud, la France, l’Italie et l’Espagne avec l’Allemagne, pays en première ligne quant à l’afflux des réfugiés, devraient joindre leur force pour apporter une solution politique globale à cette crise en coopération avec la Russie et tous les Etats de la région y compris l’Iran. Assécher les sources financières, en mettant la pression sur les pays qui financent directement ou indirectement les groupes terroristes pour des objectifs idéologique et ou géopolitique, est aussi fondamental pour combattre le terrorisme mais largement insuffisant.
Eradiquer le jihadisme et lutter contre son attrait parmi les jeunes européens et musulmans doit s’inscrire dans la durée et doit être perçu comme une stratégie indissociable de l’action politique, diplomatique et militaire. Les jeunes, fascinés par le jihadisme dans les pays arabes et musulmans ont besoin d’autres repères, d’autres aspirations et d’autres idéaux que ceux propagés par Daech ou Al Qaida.
Pour atteindre un tel objectif, une sorte de stratégie de soft power devrait être envisagée. Nul besoin de chercher loin, le modèle existe déjà: la Tunisie. Qui mieux que le pays à l’origine du « printemps arabe », qui a réussi à éviter tous les écueils de la guerre civile et réussi à instaurer un système pluraliste et démocratique pour endosser ce rôle.
Ce pays, précurseur dans l’enclenchement de la vague qui a balayé des régimes autoritaires, pourrait servir d’exemple pour l’instauration d’un dialogue entre les factions rivales dans les pays en proie à des guerres civiles. Certes, la Tunisie a ses propres spécificités, absence de système tribal, quasi-absence de minorités ethniques et religieuses, une société civile dynamique, une jeunesse relativement éduquée, mais il ne reste pas moins un pays à culture arabo-musulmane qui est en passe de réussir sa transition démocratique sans recourir aux armes et à l’effusion du sang.
La question fondamentale est comment peut-on ériger ce pays comme un exemple à suivre alors que les Tunisiens eux-mêmes n’ont pas récolté les « dividendes » du processus démocratique? Pire encore, depuis la révolution, la situations économique, sociale et sécuritaire de ce pays s’est dégradée à tel point qu’elles peuvent mettre en causes les acquis démocratiques tant salués à travers le monde.
Force est de constater que malgré les beaux discours et les promesses mirifiques, les aides accordées à la Tunisie par les pays occidentaux sont loin d’être à la hauteur des enjeux et des défis aussi bien pour la Tunisie que pour l’Europe. Les pays occidentaux se montrent hélas plus enclins à gérer les conséquences que de s’attaquer aux racines du fléau terroriste.
Les Tunisiens qui ont toujours rêvé de voir leur pays devenir « la Suisse du monde arabe », ont un instant pensé être sur le point de réaliser ce rêve après la chute du régime de Ben Ali. Mais la dégradation de la situation sécuritaire et économique du pays a fini par conduire un nombre croissant de ces derniers à regarder l’ère de la dictature avec nostalgie.
Cette crise touche les populations les démunis et les plus vulnérables aux recruteurs salafistes financés par les monarchies du golfe. Il ne faut pas se tromper, si les populations arabes, surtout les jeunes, expriment leur solidarité avec le peuple tunisien suite aux attentats perpétrés par les jihadistes, aucun régime arabe ne souhaite la réussite du processus démocratique en Tunisie et certains s’emploient activement à le faire échouer.
Seuls les pays démocratiques et notamment européens peuvent venir au secours à une démocratie en danger. L’Union européenne qui a trouvé des moyens financiers colossaux pour renflouer l’économie grecque, pour accorder trois milliards de dollars à la Turquie pour « fixer » les réfugiés sur son territoire, pour gérer les réfugiés sur son sol, pour envoyer des navires secourir les réfugiés jusqu’au large des côtes libyennes et pour bombarder l’Irak et la Syrie, n’a t-elle pas les moyens d’effacer la dette extérieure de la Tunisie, de lui apporter une aide militaire et sécuritaire proportionnelle à la menace terroriste à laquelle ce pays doit faire face et une aide économique pour faire repartir la croissance d’une économie plombée, entre autres, par un secteur touristique dans un état catastrophique?
Le coût du sauvetage d’un petit pays de douze millions d’habitants est négligeable par rapport aux répercussions positives de l’émergence d’un premier modèle démocratique dans un pays arabe. Autrement dit, investir dans la démocratie tunisienne pourrait apporter gros à l’ensemble des pays européens et surtout à la jeunesse arabe et musulmane en mal de repère.
Si la Tunisie sombre, c’est toute l’Afrique du nord qui s’effondrera entraînant dans son sillage un tsunami dévastateur pour l’ensemble de l’Europe. Le destin des pays des deux rives de la méditerranée est étroitement lié.