Contexte du worshop ICAR “Incertitudes Cartographiques / Cartographic Uncertainties”

French

La notion d’incertitude est définie par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales comme relevant d’un « caractère d’imprécision – d’une mesure, d’une conclusion », soit un « caractère vague d’une perception, d’une image ». La lexicographie fait aussi référence à « l’impossibilité dans laquelle est une personne de connaître ou de prévoir un fait, un événement qui la concerne », alliant « un sentiment de précarité qui en résulte ». L’incertitude traduit aussi « l’hésitation d’une personne ». Dans ce contexte linguistique appliqué à la cartographie, l’incertitude concerne la carte en tant que résultat d’une analyse de données spatiales, le.la cartographe à l’origine du traitement et de la mise en forme de ces données et les données elles-mêmes. L’incertitude naitrait alors d’imperfections (lacunes, imprécisions, erreurs) des données réunies pour répondre à une question à un instant donné. Elle résulte aussi des évolutions constantes des paramètres – politiques et techniques par exemple – pouvant déterminer une décision concernant une action future. L’incertitude s’associe donc au sentiment de ne pas maitriser l’avenir, de ne pas pouvoir en prévoir le déroulé, d’être plongé dans l’impuissance. Elle s’inscrit dans un espace-temps particulièrement difficile à saisir par l’instantané que constitue l’image cartographique. Comment les cartes peuvent permettre ou ont permis aux sociétés de (re)prendre le pouvoir, de lutter contre l’incertitude ? Quelles formes graphiques l’incertitude prend-elle ? Ces journées de travail visent à interroger l’incertitude cartographique selon quatre approches et questionnements complémentaires :

 

1) la première interroge les espaces cartographiés « non déterminés », « marginaux » (espaces post-conflits, en « déshérence », « non-lieux », « antimondes » etc.) dont les fonctions ne sont pas/plus définissables ou interprétables sur des cartes. Souvent représenté par un « blanc cartographique » ou une tache monochrome, cette indécision spatiale configure les représentations que le.la lectrice/lecteur se construit… mais finalement, ce « blanc » est-il réellement synonyme d’indécision ? Pourquoi « remplir les blancs » ? Faut-il absolument combler l’intégralité de la carte via une codification ? Quels sont le pouvoir de ces « blancs » et leurs significations ?

 

2) la deuxième entrée questionne l’articulation des deux médiums que sont l’image cartographique et la parole enquêtée, en prenant en compte les émotions sous-jacentes, souvent invisibles. Comment rendre justice aux paroles et aux faits dans un contexte où l’information qui circule est imparfaite, incomplète, imprécise ou erronée ? Il s’agit de réfléchir à la prise en compte et à la façon de rendre compte des sujets d’inquiétude et des sensibilités des populations en mobilisant des processus cartographiques dont les cheminements conceptuels sont multiples et variés. Quels degrés d’incertitude cela prend-il ?

 

3) la troisième approche mobilise la dimension métaphorique de la carte et son rapport avec la multiplicité des pratiques cartographiques : alors que la carte est un artefact très marqué culturellement, il est devenu protéiforme, numérique, participatif, narratif, iconographique, critique, radical etc.  En quoi ce « floutage » conceptuel, et donc la reconnaissance d’une incertitude intrinsèque de la cartographie, peut-il enrichir la réflexion et les pratiques cartographiques contemporaines ? Comment dépasser nos propres indécisions, en tant que cartographes, habitants, auteurs et lecteurs du monde ?

 

4) Enfin, le dernier point rejoint l’angoisse cartographique du « vide », du « trop-plein » ou des données erronées, soit de la « non-connaissance », de la « sur-connaissance » et de l’inexactitude d’un espace cartographié. Ici, ce sont aussi les indécisions du/de la praticien.ne qui sont interrogées : à quelles échelles et temporalités peut-on positionner « l’opération cartographique »[1] de représentation de l’incertitude (micro/macro-géographique) ? Quels sont les questionnements et les réponses qu’un.e. cartographe apporte à ces incertitudes, imprécisions ou inexactitudes spatiales ?

 

Les travaux des intervenants s’inscrivent dans une dimension transversale et interdisciplinaire croisant les approches et les pratiques relevant des études culturelles et du champ de la géographie critique finalement déjà usités mais très peu étudiées et surtout, sans que des collaborations fructueuses ne soient engagées entre ces disciplines. La cartographie s’inscrit ici comme média (inter)disciplinaire permettant de croiser les différentes lectures du Monde et d’en dégager des langages communs.

 

Le projet ICAR, d’une durée de 18 mois, est financé UP Squared (Impulsions Interdisciplinaires – Recherche 2IR, PIA 4 « ExcellencES sous toutes ses formes), l’ANR PORTIC, l’UFR Lettres et Langues et le laboratoire MIMMOC.

 

English

The notion of uncertainty is defined by the French National Center for Textual and Lexical Resources as « the imprecision – of a measure, a conclusion », i.e. « the vagueness of a perception or image ». Lexicography also refers to « the impossibility in which a person is to know or foresee a fact, an event that concerns him/her », resulting in « a feeling of precariousness ». Uncertainty may also refer to « the hesitation of a person ». In this linguistic context applied to cartography, uncertainty simultaneously concerns the map as the result of an analysis of spatial data, the cartographer at the origin of the processing and formatting of these data, and the data itself. Uncertainty is the consequence of the imperfections (gaps, imprecisions, errors) of the data combined to answer a question at a given time. It also results from the constant evolution of parameters – i.e. political and technical – that can determine a decision concerning a future action. Uncertainty is therefore associated with the feeling of not being able to control the future and to foresee its unfolding, of a fundamental helplessness. It is part of a space-time that is particularly difficult to grasp through the cartographic snapshot. How have maps allowed societies to (re)take power, to fight against uncertainty? Which graphic patterns does uncertainty take? This workshop aims at questioning cartographic uncertainties according to four complementary approaches:

 

1) The first questions « undetermined », « marginal » mapped areas (post-conflict and areas in « disarray », « non-places », « anti-worlds », etc.) whose functions are not/no longer definable or interpretable on maps. Often represented by blank or monochrome areas, this spatial indecision configures the representations that the reader constructs… but in the end, is this « blank » really synonymous with indecision? Why could this be, and must the entire map be filled by means of a consistent codification? What is the power of these blanks and their meanings?

2) The second approach specifically questions the articulation of two mediums, the cartographic image and the spoken word of the interview, by taking into account the underlying, often invisible emotions. How can we do justice to words and facts in a context where the information that circulates is imperfect, incomplete, imprecise or erroneous? How can we take into account and report on the concerns and sensitivities of the population – by mobilizing cartographic processes the conceptual paths of which are multiple and varied? How much uncertainty does it take?

3) The third approach mobilizes the metaphorical dimension of the map and its relationship with the multiplicity of cartographic practices:  as a culturally marked artifact, the map has become protean, digital, participatory, narrative, iconographic, critical, radical, etc. How can this conceptual « blurring », and thus the recognition of an intrinsic uncertainty of cartography, enrich contemporary cartographic thinking and mapping practices? How can we overcome our own indecisions, as cartographers, inhabitants, authors and readers of the world?

4) Finally, the last point relates to the cartographic anxiety of « emptiness, » or, on the contrary, of the overabundance or erroneous quality of data, i.e., the epistemological blank or overflow and thus inaccuracy of a mapped area. The indecisions of the cartographer are questioned: what scales and temporalities would be appropriate for the « mapping process” of representing uncertainty (micro/macro-geographic)? What are the questions and answers that a cartographer brings to these uncertainties, imprecisions or spatial inaccuracies?

This workshop is part of an interdisciplinary effort crossing approaches and practices from cultural studies and critical geography. Borrowing from each other has been a common practice in both cultural studies and critical geography, but we would like to point out that these borrowings are not necessarily accompanied by a critical and transdisciplinary reflection. Above all, there has been little fruitful collaboration between these disciplines, in particular in France – the academic context in which most of the studies presented here are to be situated. Cartography is used here as an (inter)disciplinary medium that makes it possible to cross the different readings of the World and to identify common languages.

 

Références indicatives / some references

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[1]En référence au titre de l’ouvrage Opérations cartographiques dirigé par J.-M. Besse et G. A. Tiberghien, 2017.